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Mercredi 18 septembre 2002.
Rachid Hallaoui
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Les intellos font leur show
Mardi donc, la salle d'audience du tribunal était devenue le dernier lieu branché de Paris.
Un salon politique d'abord ou
quelques militants d'extrême-droite
se sont invités à l'aimable conversation pour soutenir l'écrivain au nom
de la liberté d'expression et de la défense de l'Occident, distribuant
des tracts hostiles aux islamistes tout en reprenant des slogans contre la censure des imams.
Le show était total. Le spectacle se jouait d'ailleurs à guichet fermé.
Expulsés de la salle, la 17ème chambre
s'est alors
transformée en une sorte de dernier salon littéraire où l'on cause,
une espèce de petit amphi que la Sorbonne n'aurait pas pu renier où chacun
pouvait débattre de la place de la littérature dans la société française, de l'humour et de l'ironie,
de la distinction entre fiction et réalité.
Les écrivains, intellectuels se sont déplacés au chevet de l'écrivain outragé,
certains apporteront un soutien silencieux comme
Régine Deforges et Gabriel Matzneff, et d'autres comme
Philippe Sollers, Fernando Arrabal, Michel Braudeau,
Dominique Noguez et la critique littéraire du "Monde" Josyane
Savigneau défileront à la barre pour défendre comme un seul homme, le droit à la libre expression.
Eventuellement,
de talentueux ancêtres pourront également être entendus à la barre, par citations interposées:
Montaigne, Pierre Charron,
Pascal,
Spinoza, Voltaire, Chopenhauer, Claude Lévi-Strauss,
de l’Académie française qui ont été très critiques sur l'islam sans doute
mais dans un langage tellement plus
"délicat".
En attendant, ce sont "des vivants" qui défilent à la barre et chacun y va de sa tirade :
Pour Dominique Noguez ou Michel Braudeau,
ce ne sont pas tant les propos qui sont visés par les associations musulmanes
mais bien plutôt le contenu dérangeant du roman Plateforme.
"On s'en prend à l'interview, car on ne peut pas s'en prendre au roman,
on a quand même un peu le sens du ridicule", déclare Dominique Noguez.
"Un écrivain a une fonction critique, il n'est pas là pour plaire au roi,
au pape ou à je ne sais quoi", souligne Michel Braudeau tout en précisant qu'il
faut éviter de confondre les propos d'un personnage de fiction
et l'opinion de son auteur.
"Le personnage de fiction a le droit de dire ce qui lui chante.
Sinon, on n'aurait pas écrit Crime et châtiment."
Message reçu cinq sur cinq M.Braudeau!
Puis M. Sollers est venu expliquer aux musulmans ce qu'était l'humour, un droit fondamental
en France.
Dans le cas présent, les propos de l'écrivain français, ce n'est rien d'autre
que de l'humour.
L'avocat de Dalil Boubakeur s'est étonné :
" Pour vous, dire que l'islam est la religion la plus con, c'est de l'humour ?"
"Certainement!
Sinon, on est au bord du délit d'opinion, du délit de blasphème." a répliqué M. Sollers.
Si c'est lui
qui le dit!
Certains intellectuels présents sont aussi venus expliquer aux magistrats que l'auteur de Plateforme
a attaqué l'islam
soit, mais
seulement en tant que concept et attaquer un concept, tout le monde le sait,
n'est pas attaquer ceux qui le pratiquent.
Ainsi,
l'écrivain Dominique Noguez,
souligne qu'un « libre-penseur » peut critiquer un sytème de pensées, un concept
tel que le marxisme-léninisme, sans pour autant viser ceux qui
s'en recommandent.
Mais le César de la mise en scène sera sans nulle doute attribué à
Fernando Arrabal, 70 ans. Il débute le spectacle immédiatement,
A la question, "quelle est votre profession?" Il répond :
"piéton".
Quand on lui demande de lever la main droite et de dire
"je le jure", il proteste vertement :
"Oh! Mais c'est très fort, je le jure.
Est-ce que je peux dire, je promets ?"
Évoquant Socrate condamné à boire la ciguë,
il joint le geste à la parole et ôte de sa poche une mignonnette de whisky
qu'il porte à ses lèvres en disant :
" A votre santé, Monsieur le Président !" L'auditoire est conquis
et il rit franchement.
Puis, il raconte le témoignage que
Samuel Beckett lui avait apporté devant un tribunal franquiste
qui le poursuivait pour « délit d'opinion ».
M.Beckett avait alors déclaré :
« Monsieur le juge, c'est beaucoup, ce que doit souffrir un poète pour écrire.
N'ajoutez rien à sa peine. »
L'audience qui s'est terminée tardivement m'a laissé un goût amer et de nombreuses questions
dont celle-ci : même si
la justice considère que les propos de Michel Houellebecq ne sont pas répréhensibles
pénalement et cela est sans doute justifié, l'émotion de la communauté musulmane
ne méritait-elle pas un procès plus serin et surtout plus respectueux?
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