Tout débute en août 2001 avec la publication
du dernier roman
de Michel Houellebecq "Plateforme". Le personnage principal du livre, Michel
voit sa compagne mourir dans un attentat
islamiste et affirme «Chaque fois que j'apprenais qu'un terroriste palestinien,
ou un enfant palestinien ou une femme enceinte palestinienne, avait été abattu par balles
dans la bande de Gaza, j'éprouvais un tressaillement d'enthousiasme...»
A l'occasion de la sortie de son roman, l'écrivain assure alors, la promotion de son livre, donne
de nombreux interviews dans lesquels
il s'explique sur la teneur de certains propos.
Ainsi, au Figaro Magazine en août 2001,
il déclarait déjà, sans qu'il y eut le moindre écho, que l'islam était
"une religion belliqueuse, intolérante, qui rend les gens malheureux" et il
qualifiait de "dégoûtante" la lecture du Coran.
En septembre 2001, il accorde un long entretien au magazine littéraire Lire qui va entraîner cette fois,
un véritable tollé parmi les associations musulmanes.
Interrogé sur le thème de son livre qui traite à la fois du tourisme sexuel et de l'islam,
l'auteur déclare :
"il y a quelque chose qui m'a beaucoup frappé: c'est de voir des touristes arabes à Bangkok.
Je ne m'y attendais pas du tout... Je m'imaginais bêtement que les musulmans étaient tous de
bons musulmans. Quand on parle de l'Islam, on pense toujours au sort des femmes.
Et tout à coup je me suis aperçu qu'il y avait aussi beaucoup d'hommes qui se faisaient
horriblement chier dans les pays arabes. Contrairement à l'image qu'on en a, beaucoup d'entre eux
n'ont pas la foi et vivent dans la plus totale hypocrisie. Quand ils viennent en Thaïlande,
ils sont encore beaucoup plus frénétiques que les Occidentaux dans leur quête du plaisir.
Ça a été le point générateur du livre".
Au journaliste qui lui demande ensuite, si ce qu'il ressent vis à vis de l'Islam
n'est pas plus de la haine que du mépris,
le romancier répond : "Oui, oui, on peut parler de haine",
précisant que ce sentiment n'avait rien à voir avec la conversion de sa mère à la religion musulmane,
conversion qu'il n'avait jamais prise au sérieux et qui "était le dernier moyen qu'elle avait trouvé
pour emmerder le monde après une série d'expériences tout aussi ridicules". Selon Michel Houellebecq,
cette répulsion lui viendrait plutôt "d'une espèce de révélation négative" dans laquelle il a
subitement "éprouvé un rejet total pour les monothéismes (...) je me suis dit que le fait de croire à
un seul Dieu était le fait d'un crétin, je ne trouvais pas d'autre mot.
Et la religion la plus con, c'est quand même l'islam. Quand on lit le Coran, on est effondré... effondré!
La Bible, au moins, c'est très beau, parce que les juifs ont un sacré talent littéraire...
ce qui peut excuser beaucoup de choses. Du coup, j'ai une sympathie résiduelle pour le catholicisme,
à cause de son aspect polythéiste.",
avant de poursuivre que "l'islam est une religion dangereuse, et ce depuis son apparition".
Mais heureusement, conclue-t- il l'islam est une religion condamnée "parce que Dieu n'existe pas",
et surtout parce que "l'Islam est miné de l'intérieur par le capitalisme.
Tout ce qu'on peut souhaiter, c'est qu'il triomphe rapidement.
Le matérialisme est un moindre mal. Ses valeurs sont méprisables, mais quand même moins destructrices,
moins cruelles que celles de l'islam."
Ce sont donc ces propos qui lui sont aujourd'hui
reprochés devant le tribunal correctionnel de Paris.
Les avocats des associations demandant une condamnation de l'écrivain
au nom "du droit au respect pour les musulmans".
L'islam, une religion offensée :
Le début de l'audience a été quelque peu troublé par le soutien bruyant de quelques militants
d'Extrême-Droite qui s'étaient invités au procès. Emmenés par le Conseiller Régional d'Ile-de-France,
Jean-Yves Le Gallou (un des chefs de file du MNR de Bruno Megret), et vêtus de t-shirts montrant
une Marianne bâillonnée, sur lesquels étaient écrits : Liberté d'opinion liberté d'expression,
ils ont hurlé de nombreux slogans parmi lequels,
"Non à la censure des imans, liberté d'expression" avant de se faire expulser de la salle.
Le délégué général du MNR a pris la défense de l'écrivain en estimant qu'il y avait
"danger pour la liberté littéraire avec le procès de Michel Houellebecq,
attaqué par des imams pour avoir osé dire du mal de l'Islam".
Au procès, Dalil Boubakeur, recteur de la mosquée de Paris a déclaré que
«L'islam a été traité dans des conditions inqualifiables, insulté dans l'ignorance
totale de ce qu'il est. [...] Jusqu'où, jusqu'à quand ces choses-là seront-elles possibles?
Nul ne connaît mieux que moi le prix de la liberté d'expression. Mais la parole a un prix.
Elle peut tuer. La liberté d'expression a donc des limites et elle s'arrête là où elle peut faire mal.
L'islam a été vilipendé, attaqué avec des mots orduriers. Plus de six millions de personnes ont
le rouge de la honte au front. J'estime que ma communauté est humiliée, ma religion offensée.
Je demande justice".
Toutefois, le recteur se fera reprendre par le Président lorsqu'il
rapportera des propos tenus par le personnage de "Plateforme" et non par Michel Houellebecq.
«Ce procès ne porte pas sur le livre, mais sur les propos publiés par Lire et Le Figaro»,
doit-il répéter plusieurs fois.
Son avocat, Me Jean-Marc Varaut,
demande quant à lui, au tribunal de prendre
une "décision qui aura sa place pour que soit respectés et reconnus des millions de
nos concitoyens"
ainsi, réclame-t-il une condamnation symbolique estimant que les déclarations de l'écrivain risquaient
de "favoriser le passage de l'islam à l'islamisme pour
ceux qui se sentiront humiliés".
Le rédacteur en chef de Lire, Pierre Assouline vient témoigner à la barre. Ce dernier a écrit
un éditorial dans lequel
il condamnait "l'aversion pour les Arabes" de Michel Houellebecq,
qui se situait selon lui "dans un au-delà de la provocation littéraire (...)",
pour atteindre "la vengeance".
L'avocat de Michel Houellebecq l'apostrophe alors violemment, l'accusant d'avoir déformé, amplifié les propos
de l'auteur, d'avoir modifié des phrases et des citations. L'auteur perdant son sang froid qualifie alors de
"crapuleux" le travail
rendu par le journaliste. Il l'accuse d'avoir confondu les propos tenus par son personnage avec les siens :
"Tout repose au fond sur l'idée littéralement absurde que Michel c'est moi et
qu'il ne peut pas en être autrement. Pierre Assouline est avant tout un biographe qui est persuadé
qu'il y a dans une vie d'écrivain un honteux secret qui expliquerait son œuvre.
Il a imaginé une théorie selon laquelle ma mère m'aurait abandonné pour se convertir à l'islam,
abandon qui serait à l'origine de mes propos.»
", il rajoute même qu'il éprouve
un sentiment de haine envers Pierre Assouline qui l'a présenté dans son éditorial
comme "un personnage véhément alors que je n'écris pas comme ça, que je ne parle pas comme ça".
Pierre Assouline ne se laisse pas faire et rétorque aussitôt :
"Je regrette qu'il ait brusquement changé d'avis à propos de Lire, une année après
la publication de ces articles. Houellebecq a eu vingt fois la parole juste après la parution de l'entretien.
Jamais il n'a condamné Lire dans sa façon de rapporter ses propos". Il est aussitôt relayé par
Me Varaut : "Il est curieux que vous attendiez l'audience pour dénier des propos que vous
n'aviez jamais déniés".
Et Pierre Assouline de reprendre :
"Le risque de l'activité de journaliste est de plus en plus grand du fait de la
judiciarisation de la vie littéraire. Je le regrette.
Je regrette que ces associations nous aient traînés devant un tribunal.
J'aurais préféré qu'il y ait un débat... Pourquoi pas dans Lire».
Le droit à la critique religieuse :
L'auteur de "Particules élémentaires" qui a préféré faire de ce procès,
un véritable débat sur la liberté d'expression a reçu dans une pétition rendue publique,
l'appui de quelques 80 artistes et
écrivains. Ce débat a d'ailleurs divisé au delà des clivages politiques traditionnels, les intellectuels et les
associations.
A l'audience, tout en confimant la teneur de ses propos et son "mépris pour l'islam"
il a nié être un auteur ou un intellectuel "engagé" et avoir une quelconque aversion contre les
Musulmans: "Tout le ton général de l'entretien, c'était du mépris, pas de la haine", précise-t-il.
Mais il revendique sont droit à critiquer
les "religions monothéistes"
associant ainsi, le Coran et la Bible. "La Bible a plusieurs auteurs, certains géniaux,
certains nuls à chier,
le Coran en a un seul plutôt médiocre (...)Il existe un discours convenu qui consiste à dire
que les textes fondamentaux
ne prêchent que la paix.
Mais dans la réalité, les textes monothéistes ne prêchent ni la paix,
ni l'amour, ni la tolérance : ce sont des textes de haine.
Dès le départ, ce sont des textes de haine" a-t-il précisé.
"Quand on dit du mal d'une religion, on ne dit pas forcément
du mal des
personnes dans leur ensemble (...) Je ne vois pas en quoi critiquer
une religion de manière acerbe les met en cause en tant qu'êtres humains",
a-t-il expliqué aux magistrats répétant que pour lui, l'islam était bien une religion "stupide".
La coqueluche des milieux littéraires sait aussi habilement manier les mots. De ce fait, les rires
sont fréquents dans la salle d'audience. Ainsi il estime que ses propos
au magazine "Lire" ne portaient pas à conséquence, car explique-t-il aux magistrats,
sur les sujets généraux, il change constamment d'avis.
"Me demander mon avis sur un sujet, c'est assez absurde quand on me connaît", déclare-t-il.
Puis, rajoute : "personne ne place aussi bien que moi, à l'heure actuelle,
le point virgule dans la littérature française. Je le fais mieux que quiconque dans
la littérature française". Il ironise même parfois, revendiquant une certaine banalité :
"L'acte d'accusation est présenté sous un jour assez grandiose.
On dirait que le monde entier attendait mes déclarations.
Mais ça n'a pas été une onde de choc".
"Vous prenez les Musulmans pour des cons ?" lui demande un des avocats.
"Je n'ai jamais dit ça. J'ai dit qu'ils suivaient une religion qui m'apparaît comme stupide"
, répond simplement l'écrivain.
L'auteur de Plateforme s'en tire par quelques pirouettes mais ne dément pas. Ainsi, il confirme avoir
effectivement répondu "oui, oui, on peut parler de haine" au journaliste qui
lui demandait s'il n'y avait pas
plus de haine que de mépris vis à vis de l'islam; mais assure-t-il "J'ai répondu oui pour qu'on passe
à un autre sujet".
L'auteur de Plateforme a pu compter sur quelques témoins célèbres cités par la défense
comme Fernando Arrabal, Michel Braudeau, Dominique Noguez, la critique littéraire du "Monde" Josyane Savigneau,
l'écrivain Philippe Sollers qui déclare que les propos ne sont que de l'humour et de l'ironie.
"Dire que Houellebecq appelle à la haîne, c'est grotesque", affirme-t-il.
Regines Desforges était elle aussi présente dès l'ouverture du procès.
La critique religieuse reste légale :
Au terme d'une audience mouvementée et riche en débats, le substitut du procureur,
Béatrice Angelelli a préféré rester sur le terrain du droit : elle
estime que Michel Houellebecq ne s'en était pas pris
aux musulmans en général et n'avait pas
tenu de propos incitant à la haine ou à la violence contre eux; il est donc resté dans les limites
de la loi en critiquant la religion musulmane.
""On peut dire que (les propos de Houellebecq) sont des jugements à l'emporte-pièce.
Peut-être est-il provocateur et il est normal que ces propos choquent;
mais nous ne sommes pas là pour dire ou faire la morale ou pour juger une responsabilité morale,
mais pour sanctionner une responsabilité pénale et sur des critères strictement
juridiques, je vous demande de relaxer".
Le magistrat a également demandé la relaxe
du directeur de la publication "Lire" et du groupe l'Express, la société éditrice
Le tribunal devrait rendre sa décision le 22 octobre. L'écrivain risque jusqu'à un an de prison et 45.000 euros d'amende.